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<style>:root {--fontsize:8.46pt;}</style> # Dossier de textes sur l'éthique environnementale ## Préservation de la nature sauvage ou conservation des ressources ? « Bien que la diversité du monde naturel soit connue depuis l’Antiquité, le concept de biodiversité n’a été employé qu’en 1986, lors du Forum national sur la diversité biologique de Washington. C’est alors que commence à s’affirmer l’idée que, pour préserver la nature, il fallait préserver la biodiversité, et qu’un certain nombre d’auteurs américains et européens se tournent vers les travaux pionniers de John Muir (1838-1914) et de Gifford Pinchot (1864-1946). Muir était un naturiste. Pour lui, la nature représentait un véritable « temple » où l’homme pouvait se recueillir. C’est pourquoi il introduisit le concept de wilderness, « nature sauvage », et qu’il défendit tout au long de sa vie la nécessité de préserver cette nature sauvage dans son intégrité et dans sa beauté. Pinchot, lui, était un ingénieur forestier. En s’appuyant sur l’utilitarisme, il conçut la conservation de la nature comme un moyen pour rendre possible la pérennité des ressources naturelles et pour en assurer une exploitation durable. » (Michela `Marzano`, _L'éthique appliquée_, chap. IV : “Animaux et nature : l’éthique de l’environnement”) ## Valeur intrinsèque ou valeur instrumentale de la biodiversité ? « D’une part, on parle de valeur intrinsèque, d’une valeur que la biodiversité aurait en elle-même, indépendamment de son impact et de ses effets. D’autre part, en soulignant l’importance de la biodiversité sur les plans économique, social, éducatif, etc., on lui accorde une valeur instrumentale : elle aurait de la valeur en tant que moyen pour atteindre d’autres fins, notamment la promotion du bien-être humain. Or, selon que l’on parle de valeur intrinsèque ou de valeur instrumentale, on se place dans une perspective différente. Dans le premier cas, c’est la perspective biocentrique. Dans le second, c’est la perspective anthropocentrique. D’un point de vue anthropocentrique, la défense de la biodiversité est justifiée dans la mesure où elle profite aux êtres humains en leur fournissant un certain nombre de biens : des ressources pour leur subsistance et leur développement ; des paysages sublimes et un environnement beau pour leur plaisir esthétique ou leurs divertissements, etc. […] La disparition de certaines espèces naturelles peut en effet engendrer un manque de ressources (chasse, pêche ou cueillette), c’est-à-dire une perte d’un point de vue économique, mais aussi d’un point de vue esthétique et culturel. Quant à la modification de la composition de l’atmosphère ou du cycle hydrologique et du climat, les coûts peuvent être exorbitants pour la survie même de l’humanité. Que dire cependant des espèces qui ne sont apparemment pas « utiles » aux hommes ? Quelle est leur valeur dès lors que la valeur des espèces non humaines dépend des bénéfices qu’elles procurent aux humains ? Pour Paul Taylor, qui s’inscrit dans une perspective biocentrique, tout être vivant […] doit […] être considéré comme une fin en soi. Tout être vivant, quelle que soit l’espèce à laquelle il appartient, aurait ainsi, pour Taylor, une valeur égale, une même valeur intrinsèque. Mais si tous les êtres vivants ont la même valeur, faut-il alors en conclure qu’un insecte a droit au même respect qu’un être humain et que « tuer un moustique » a la même signification que « tuer un enfant » ? Les partisans d’une approche écocentrique s’inspirent en grande partie de la pensée d’Aldo Leopold. C’est dans cette lignée que s’inscrivent notamment les travaux de Holmes Rolston et de Baird Callicott. Le point de départ de leur réflexion est l’idée que l’homme est une partie intégrante des systèmes qu’il habite. Il n’est donc pas un « être à part » qui habiterait un « environnement » qui lui serait étranger. De ce constat de l’appartenance de l’homme à la nature découle la nécessité de son respect. Comme l’explique déjà Leopold : « Une éthique de la terre fait passer l’Homo sapiens du rôle de conquérant de la communauté-terre à celui de membre et citoyen parmi d’autres de cette communauté. Elle implique le respect des autres membres, et aussi le respect de la communauté en tant que telle. » (Michela `Marzano`, _L'éthique appliquée_, chap. IV : « Animaux et nature : l’éthique de l’environnement ») ## Approche centrée sur l'individu ou sur les espèces et les écosystèmes ? « L'écocentrisme conçoit l'animal dans la globalité de son appartenance à la nature : s'il compte moralement, ce n'est pas en tant que tel, mais en tant qu'il est un membre de la communauté biotique. […] C'est cette position […] que défend notamment le philosophe américain J. Baird Callicott. […] [L]a plupart des éthiques animales sont individualistes – précisément parce qu'elles sont antispécistes : il s'agit toujours de considérer l'individu, non son appartenance à une espèce, car c'est l'individu qui souffre. […] Callicott [s'oppose] radicalement [à cette thèse] et défend au contraire une perspective holiste qui ne vise pas la protection des individus, mais celle d'entités supra-individuelles complexes, telles que les écosystèmes ou les espèces. Or, ces entités ont des rôles différents dans la communauté biotique. […] D'abord, il critique la notion même de “libération animale”, arguant notamment qu'on ne peut pas “libérer” des animaux domestiques qui sont créés depuis des millénaires pour dépendre de l'homme : relâcher les animaux d'élevage et de compagnie dans la nature, non seulement en condamnerait une grande partie, mais encore concurrencerait des espèces sauvages. Lecture bien naïve, car personne ne souhaite procéder de la sorte. La libération animale ne doit pas s'entendre au sens propre, il ne s'agit pas de relâcher des animaux, mais, pour les abolitionnistes, de cesser d'en produire, c'est-à-dire de prendre soin de la génération présente tout en œuvrant pour qu'elle soit la dernière. Ensuite, il ne comprend pas que l'on veuille abolir l'exploitation mutuelle et éradiquer la souffrance individuelle, car il s'agit de phénomènes naturels : tous les êtres vivants vivent aux dépens les uns des autres, la souffrance et la mort sont quotidiennes et font pour ainsi dire partie de la vie. Il est donc absurde de vouloir appliquer au monde naturel les droits et les principes qui régulent les sociétés humaines. Il a par la suite nuancé sa thèse, pour montrer qu'elle n'excluait pas le bien-être des animaux et une certaine reconnaissance de leurs droits. Sa solution consiste alors à distinguer le sort des animaux domestiques de celui des animaux sauvages. […] Donc, Callicot veut bien reconnaître aux animaux domestiques un certain nombre de droits et de privilèges relatifs à leur statut. Pour les animaux sauvages, la maxime [suivante] suffit : promouvoir la beauté, la stabilité, et l'intégrité de la communauté biotique. » (Jean-Baptiste `Jeangène Vilmer`, _Éthique animale_, PUF, 2008, p.116-117) ## Écologie superficielle ou écologie profonde ? « L'écologie superficielle traite l'écologie comme étant une science parmi d'autres au sein de la famille des sciences de la vie et de la terre - comme l'océanographie ou la météorologie ; et les écologistes superficiels mettent leur savoir au service de l'entreprise multiséculaire de conquête de la nature afin d'anticiper et d'éviter les “dommages collatéraux” regrettables qu'un tel rapport mercenaire peut entraîner. Ce sont eux qui informeront les dirigeants politiques et les industriels sur les effets à long terme des pluies acides, sur les conséquences écologiques et sanitaires de l'introduction des OGM dans l'environnement, etc. […] Le partisan de la deep ecology, en revanche, tient l'écologie pour une science différente et tout à fait spécifique, parce qu'elle implique une nouvelle manière de se rapporter à la nature, à la lettre d'une nouvelle vision du monde qui conduit à s'interroger de manière originale sur ce qu'est la nature, sur ce qu'est l'homme et sur la façon dont ce dernier devrait vivre au sein de son environnement naturel. Dans la perspective de la science moderne, la nature est réduite à l'état de matière inerte, l'espace est compris comme un milieu homogène […] et illimité, défini par l'extériorité réciproque de ses parties […]. Dans la perspective de la nouvelle science écologique – étude scientifique des interactions entre les organismes, les communautés biotiques et leur environnement – les êtres vivants sont envisagés comme des « nœuds au sein du réseau ou du champ de la biosphère, où chaque être soutient avec l'autre des relations intrinsèques ». […] Le premier principe de la deep ecology d'Arne Naess entend tirer les conclusions qu'impose l'écologie scientifique : plutôt que de considérer l'homme comme un être unique, comme un empire dans un empire, comme le rejeton choyé de la création, il faut apprendre à le voir comme l'un des fils qui servent à tisser la grande tapisserie de la vie, et apprendre aussi à se comporter en conséquence en reconnaissant un droit égal à se développer et à s'épanouir à toutes les formes de vie (égalitarisme biosphérique). » (Hicham-Stéphane `Afeissa`, _Éthique de l'environnement_, Vrin, 2007, p. 24-25) ## Écologie scientifique ou écologie politique ? « André Gorz distingue deux écologies. L’une, qu’il appelle « l’écologie scientifique », se donne pour objectif de corriger les excès du capitalisme en calculant les seuils à ne pas franchir sous peine de dégrader la biosphère. L’autre, « l’écologie politique », a pour objectif un nouveau modèle de civilisation capable de transformer les rapports des hommes entre eux, à leur environnement et à la nature . Ce qui distingue l’écologie politique des connaissances scientifiques auxquelles elle peut faire appel, c’est sa capacité à élaborer un projet de société différent des modèles en vigueur. Un tel projet vise à transformer à la fois les rapports sociaux et les rapports des hommes à la nature. C’est ce qui le distingue d’autres projets politiques d’altérité sociale, comme le socialisme, qui ne portent explicitement que sur les rapports des hommes entre eux. Mais cela fait aussi la différence de l’écologie politique avec le souci de protection de la nature. Ce souci, apparu dans les pays occidentaux, des deux côtés de l’Atlantique, dans la seconde moitié du XIXe siècle, visait à mettre des espaces naturels – grâce, notamment, à la création de parcs nationaux – à l’abri des transformations induites par le développement urbain et industriel. Mais celui-ci n’était pas directement remis en cause. L’écologie politique considère au contraire qu’il ne s’agit pas de deux domaines séparés : si le rapport de l’homme à la nature passe par l’homme […], on ne peut changer les rapports des hommes à la nature sans transformer les rapports des hommes entre eux et réciproquement. Toute la question porte sur l’importance et l’étendue de ces transformations. » (Catherine `Larrère`, « L’écologie politique existe-t-elle ? », _Esprit_, vol. janv.-févr., n. 1-2, 2018) <style> #doc { font-family:Garamond,Philosopher,'Times New Roman', Times, serif; font-size: var(--fontsize); width: 296mm; height: 209mm; padding: 20px; padding-top:25px; background-color: white; display:block; columns: 2; text-align:justify; line-height:1; margin:0; } #doc h1,#doc h2,#doc h3,#doc h4,#doc p {margin:0px 10px!important; border:none!important} #doc h1 {font-size:1.2em; text-align:center; padding:0!important} #doc h2 {font-size:1.05em; margin-top:1em!important; margin-bottom:0.25em!important} code {font-variant:small-caps; font-family:inherit; background:none!important;} .markdown-body code {color:black!important; font-size:100%;} .ui-infobar, .toc, .toc-menu {display:none!important} .ui-content .ui-infobar {display:initial!important} </style>