# Critiques de la conception de la liberté d'expression de Mill
Source : Toutée, François (2019), «Liberté d'expression (GP)» https://encyclo-philo.fr/liberte-dexpression-gp
[P]our Mill […] la liberté d’expression doit être presque absolue. Les conséquences négatives de la censure sur la recherche de la vérité sont en effet si graves que seule la crainte d’un danger clair et présent et de torts physiques devrait nous faire considérer la restriction d’un discours. Il s’agit essentiellement de la position adoptée par la Cour suprême américaine dans son interprétation du premier amendement de la constitution. […]
Toutefois, un certain nombre de critiques ont été avec le temps adressées à cet argument […]. Selon la première critique, le problème avec l’argument est qu’il nous oblige à considérer la recherche de la vérité comme l’objectif prioritaire de notre société, aux dépens d’autres valeurs comme le respect, la dignité ou l’égalité démocratique. Or, cette hiérarchisation des valeurs pose problème dans certains cas, et notamment lorsque l’on parle des discours haineux.
Par exemple, que faire si un suprématiste blanc souhaite tenir une conférence publique dans laquelle il compte affirmer des thèses ouvertement racistes? Si l’on se fie à l’argument de la vérité, il faut le laisser parler : à moins qu’il ne fasse un appel direct et immédiat à la violence contre des personnes identifiables, il serait illégitime de le censurer. Pour justifier cette décision, les partisans de l’argument peuvent avancer que même si l’on est hostile à l’idéologie de la suprématie blanche, il est important de ne pas censurer ces idées afin de se garder la possibilité de les réfuter et de débattre. C’est l’idée que « la lumière du soleil est le meilleur désinfectant » : plutôt que d’interdire les discours que l’on considère néfastes, il faut les combattre avec un contre-discours. Ainsi, comme le pensait Mill, la confrontation des idées fera émerger la vérité de l’antiracisme au grand jour.
Toutefois, cela signifie que les partisans de l’argument de la vérité sont prêts à accepter les conséquences négatives causées par les discours haineux en échange du progrès en matière de vérité que ces discours vont indirectement rapporter. Or, on peut se demander si le compromis en vaut la peine, considérant les torts nombreux et avérés qui peuvent être causés par les discours haineux. On peut également et surtout relever que ces conséquences négatives sont très inégalement réparties au sein de la société, dans la mesure où ce sont essentiellement les personnes racisées qui vont les subir. Il y a donc des enjeux de justice à prendre en compte, au-delà de la valeur de la vérité.
Une autre critique adressée à l’argument de la vérité concerne l’efficacité de sa recommandation. En effet, on peut se demander pourquoi, dans un libre marché des idées, la vérité triompherait forcément, comme si elle disposait d’un avantage intrinsèque sur la fausseté. En d’autres mots, pourquoi la vérité sortirait-elle systématiquement vainqueur de la confrontation des idées?
On pourrait répondre à cela que c’est la rationalité humaine et notre capacité de raisonnement qui assurent, en général, que la vérité émergera du libre affrontement des idées. Toutefois, on ne manque pas de données empiriques et d’études en sciences sociales pour douter de notre rationalité : on sait aujourd’hui très bien que celle-ci est limitée, que notre raisonnement est imparfait, souvent biaisé, que nous faisons fréquemment des erreurs logiques, etc. En outre, cette confiance en la raison humaine est manifestement en contradiction ou en tension avec l’idée de la faillibilité humaine en matière de connaissance, idée qui était à la base de l’argument de la vérité. Le nombre de gens qui partagent des fausses nouvelles, ces fameuses fake news, en est un bon indice. Certaines recherches laissent même croire que l’on peut être influencé par une information, même lorsque l’on sait pertinemment qu’elle est fausse! (Levy, 2017)
On peut donc reprocher à l’argument de la vérité de se baser sur une vision idéalisée du raisonnement humain, mais également sur une conception utopique du débat public. En effet, si l’on reprend un instant la métaphore du libre marché des idées, on peut se demander à quel point ce marché est égalitaire, si ses acteurs sont sur un pied d’égalité. […] [O]n peut redouter que certains acteurs du marché des idées finissent par le dominer.
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