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# Les critiques / Sélections Prix Goncourt des Lycéens 2022 ---- # **Le coeur ne cède pas** Le Monde https://www.lemonde.fr/livres/article/2022/09/22/le-c-ur-ne-cede-pas-de-gregoire-bouillier-identification-d-une-femme_6142690_3260.html # **Le mage du Kremlin** Le Monde : **Un chauffeur taiseux au volant d’une limousine conduit un amateur de littérature jusqu’à une résidence néoclassique dans les environs de Moscou. Vadim Baranov livre le récit de sa vie à cet inconnu, repéré sur les réseaux sociaux, avec lequel il partage une passion pour l’écrivain dissident Evgueni Zamiatine (1884-1937), pourfendeur du totalitarisme dans la dystopie Nous autres. Pendant quinze ans, Baranov a contribué à l’édification du pouvoir de Poutine, ce nouveau tsar dont il était le « nouveau Raspoutine ». Ainsi en va-t-il dans l’histoire russe : chaque autocrate endosse les habits de ses prédécesseurs. Il a su manier l’art de la séduction et de la manipulation. Il a fomenté des stratégies à plusieurs bandes, opéré des renversements dialectiques. Pour asseoir et régénérer par épisodes le pouvoir de Poutine, il a créé des mythologies, désigné des boucs émissaires pour éteindre le mécontentement populaire. C’est l’histoire d’un homme à présent retiré des affaires publiques pour avoir perdu les faveurs du tsar, un joueur qui fut au cœur du pouvoir, en indiqua le cap, un impitoyable Machiavel désormais reclus en son mystère ; un récit « inspiré de faits et de personnages réels », indique Giuliano da Empoli en préambule du Mage du Kremlin. Il ne s’agit toutefois en aucun cas d’un docufiction. Certes ce roman, achevé par l’auteur en janvier 2021, éclaire l’actualité géopolitique d’une lumière pénétrante. Mais il lui survivra par son implacable lucidité et son style étincelant. Macha Séry*"~~~~*~~** Site de Gallimard Dans les médias https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/Le-mage-du-Kremlin # **Quelque chose à te dire** # **Vivre vite** Télérama Critique par Christine Ferniot // Publié le 16/08/2022 "Vingt ans après, il est temps de tourner la page, quitter la maison, donner les clés au promoteur qui construira un immeuble à la place de ce cocon verdoyant. En 1999, avec Claude, son compagnon, et leur petit garçon, la narratrice fut séduite par ce coin de verdure, puis le chaos s’est emparé de sa vie comme un tour de grand huit. « Signature de l’acte de vente. Accident, déménagement. Obsèques », résume-t-elle aujourd’hui. Claude s’est tué sur une Honda 900 CBR Fireblade le jour même où ils devaient poser leurs valises. « La maison était devenue le témoin de ma vie sans Claude. » Brigitte Giraud a déjà évoqué ce drame d’une folle brutalité, l’accident qui bouleverse tout, dans un livre intitulé À présent, paru en 2001. Un récit de deuil immédiat, sans métaphores ni grands mots, qui disait simplement la détresse et la rage, l’absence comme un trou noir. Vivre vite n’est pas une suite, ni le bilan de la vie « après », mais une ultime enquête pour en finir avec les « si », le destin, le hasard. « Si je n’avais pas changé la date de mon déplacement… si nous n’avions pas eu les clés de la maison à l’avance… » Des « si » comme une litanie obsédante où se déploie une réalité au conditionnel passé. Sans trahir, sans oublier, la narratrice s’autorise à en finir avec la culpabilité d’être vivante pour oser de nouveaux vertiges. Dans ce récit magnifique, pur comme une chanson d’enfant, Brigitte Giraud dépasse l’histoire personnelle pour dire l’universalité de la perte et de la reconstruction. Son écriture, toujours sobre mais jamais modeste, est moderne et envoûtante, complice et pudique. Chaque chapitre décrit des émotions à fleur de peau, des esquisses de sourire, des bonheurs réifiés, et rappelle ainsi la puissance de l’écriture qui préserve le souvenir quand la vie va trop vite et qu’on voudrait la retenir encore un peu. **Le Monde** https://www.lemonde.fr/livres/article/2022/09/25/vivre-vite-brigitte-giraud-au-temps-du-souvenir_6143113_3260.html # **Sa préférée** Podcast France inter L'heure bleue A écouter : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-heure-bleue/familles-avec-sarah-jollien-fardel-et-emma-marsantes-4416474 # **Une somme humaine** **Télérama** Critique par Stéphane Ehles // Publié le 16/08/2022 « Ma vie avait été l’objet d’une lente (auto) destruction », lit-on dans les premières pages d’un fulgurant cahier, laissé par une morte, que propose ici le romancier haïtien Makenzy Orcel. Soit donc l’histoire d’une Française d’aujourd’hui, de son enfance dans un village du Midi auprès de parents (« mes géniteurs », ainsi qu’ils sont dénommés) qui l’ignorent, d’un oncle monstrueux et de personnages du cru (le « drôle de curé », la dame du bureau de poste, le fleuriste…), puis de son émancipation à Paris, où elle rencontre une vieille dame miraculeusement rescapée de la guerre ou encore un vrai-faux homme de sa vie très manipulateur, le tout sur fond d’errance dans la capitale, au temps des attentats du Bataclan. Ce n’est pas le moindre mérite de Makenzy Orcel que de créer des romans foisonnants ancrés dans le contemporain qu’il ausculte avec la précision de son scalpel, comme il l’avait fait dans L’Ombre animale (2016), récit d’outre-tombe d’une femme, déjà, cette fois dans le décor d’Haïti dévastée par l’Histoire. Car Une somme humaine se présente comme le deuxième élément d’une trilogie commencée en Haïti, et qui devrait se poursuivre aux États-Unis. Et le projet littéraire de l’auteur impressionne. À la réalité très quotidienne du récit romanesque il ajoute la puissance poétique en convoquant des personnages oniriques (Toi, l’Enfant-Cheval). Il se joue brillamment du genre et de l’identité — la narratrice à laquelle il prête voix est cette fois une jeune bourgeoise blanche, mais sa force est d’en faire aussi la voix de toutes les femmes. Il s’amuse à déconstruire le rôle de l’écrivain (on retrouve dans le roman deux personnages plutôt aux antipodes, Makenzy et Orcel) et parvient ainsi à créer une tonalité incomparable et une écriture unique, jusque dans le jeu de la typographie. Le lecteur est comme invité à s’engouffrer dans un vertigineux chaos, un va-et-vient permanent entre le réalisme et le lyrisme, l’actuel et l’intemporel, la vie et la mort. La narratrice nous dit : « Voici la passerelle, ne crains pas le vertige… » On la suit sans hésiter. **Le Monde** https://www.lemonde.fr/livres/article/2022/09/08/une-somme-humaine-de-makenzy-orcel-le-feuilleton-litteraire-de-tiphaine-samoyault_6140712_3260.html # **Taormine** **L'obs** https://www.nouvelobs.com/rentree-litteraire/20220907.OBS62885/c-est-diabolique-c-est-impenetrable-c-est-du-yves-ravey.html **France info** https://www.francetvinfo.fr/culture/livres/la-rentree-litteraire/taormine-un-nouveau-polar-decale-d-yves-ravey-sous-le-ciel-de-sicile_5271991.html # **Les Méditerranéennes** **Télérama** Critique par Yasmine Youssi // Publié le 13/09/2022 Au fond, il n’a jamais cessé de le chercher, cet « obscur sentiment des origines ». De voyages en livres, d’essais en récits, Emmanuel Ruben, ou Samuel, son double de fiction, ont inlassablement arpenté l’Europe, sillonné les Balkans, descendu le Danube, traquant les vestiges de l’Empire ottoman pour mettre en lumière l’identité orientale du Vieux Continent qui résonne si fort en eux. Une manière détournée pour l’auteur d’approcher une part de sa propre histoire — celle de sa famille maternelle juive établie en Algérie depuis des siècles, avant que l’OAS ne la chasse de la terre de ses ancêtres ? Probablement. Jusqu’à ce que s’impose le départ pour Constantine, afin d’aller sur leurs traces. De ce voyage, Ruben a tiré un roman éblouissant. Une fresque ample et généreuse à la construction magistrale, portée par un style lyrique mais jamais débordant, tour à tour drôle et poignante. Voici donc Samuel chez sa tante Déborah, dans la banlieue lyonnaise. Lui qui s’était souvent senti comme « une brebis galeuse, un traître parmi les siens, un demi-juif honteux, le rejeton d’une union contre nature entre un goy et une juive » s’apprête à célébrer les fêtes de Hanoukka. Chaque soir, une tante, ou une cousine, allumera une des sept bougies du chandelier auquel s’était accrochée sa grand-mère quand sonna l’heure de l’exil. Et chacune déroulera l’histoire de la famille — et à travers elle, celle de l’Algérie où ils ont vécu « heureux parmi les Arabes et les Français, malgré le turbin, les brimades et la misère ». Emmanuel Ruben rend à merveille la démesure des Séfarades, livre des pages magnifiques sur la ville de Constantine. Il rappelle les heures sombres de l’histoire et l’antisémitisme forcené des colons, s’interroge sur le judaïsme, s’arrête sur ce peuple juif pour qui « la mémoire précède la naissance ». À l’instar du sultan des 1 001 nuits, on est suspendu à son récit. Baya Reine Zerbib, le personnage de la grand-mère, peut être fière. Samuel / Emmanuel a réussi ce qu’elle lui avait demandé : une « œuvre où tout sera réinventé pour consoler (s) a tribu d’avoir tout perdu ». # **La vie clandestine** **La grande librairie // France 5** Regarder :+1: https://www.france.tv/france-5/la-grande-librairie/la-grande-librairie-saison-15/4121209-monica-sabolo-destins-clandestins.html Des extraits de l'émission : https://www.youtube.com/watch?v=Aco5Y9uYZFI **France info** https://www.francetvinfo.fr/culture/livres/roman/la-vie-clandestine-ce-que-la-romanciere-monica-sabolo-a-deterre-de-sa-propre-vie-en-enquetant-sur-action-directe_5338933.html **Télérama** Critique par Nathalie Crom // Publié le 18/08/2022 Sa vie, “en marge du monde” du fait de son traumatisme d’enfant abusée, trouve de troublants échos dans l’histoire d’Action directe, le mouvement terroriste d’extrême gauche des années 1980. Telle est la trame du saisissant roman de Monica Sabolo qui paraît ce jeudi 18 août. Est qualifié de clandestin ce « qui se fait en secret, en cachette », écrit le Larousse. « Et qui a un caractère illicite », précise et renchérit Le Robert. La vie cachée de la narratrice du roman de Monica Sabolo se déroule de l’autre côté du miroir, au-delà des apparences. Dans un lieu mental dont l’accès est interdit à tout autre qu’elle-même – et d’où, peut-être, elle écrit. Un lieu qui est tout ensemble un refuge et une geôle dont elle voudrait s’extraire sans y parvenir, et où elle se tient seule depuis l’enfance : « J’ai le sentiment […] d’avoir très peu vécu à l’endroit où mon corps se trouvait. J’ai passé la majeure partie de ma vie ailleurs, dans un espace blanc reculé. Il ressemble à l’écran que déroulait mon père pour y projeter les diapositives de notre vie familiale, la preuve qu’elle était bien réelle, des pièces à conviction dans une boîte en plastique… » D’autres descriptions saisissantes de cet endroit souterrain, cet espace dissocié de la réalité tangible, émaillent la narration de La Vie clandestine, dans lequel Monica Sabolo tresse deux fils, enchâsse deux récits a priori parfaitement détachés l’un de l’autre : celui de son enfance et son adolescence entre Milan et Genève, et celui d’une enquête qu’elle mène sur le mouvement terroriste français d’extrême gauche des années 1980, Action directe. “Je ne savais pas encore que les années Action directe étaient faites de ce qui me constitue : le secret, le silence et l’écho de la violence.” Les premières pages la dépeignent, non sans autodérision, en écrivaine cafardeuse, otage d’un appartement qui prend l’eau, entichée d’une buse empaillée et rattrapée malgré elle par des démons anciens, croyant fuir tout cela en se mettant en quête d’une idée de livre, « une histoire vraie, spectaculaire et la plus éloignée possible de moi ». C’est au hasard – semble-t-il, mais le hasard n’est-il pas que l’ignorance des causes ? – de l’écoute d’une émission de radio consacrée à l’épopée sanglante des militants gauchistes, et plus particulièrement à l’assassinat, le 17 novembre 1986, du pdg de Renault, Georges Besse, que surgit l’évidence qu’il s’agit là du sujet du livre « facile et efficace » qu’elle cherchait : « Je le croyais vraiment. Je ne savais pas encore que les années Action directe étaient faites de ce qui me constitue : le secret, le silence et l’écho de la violence. » La ferme de la Chênetière, à Vitry-aux-Loges (45), où s’étaient réfugiés les membres d’Action directe, photographiée le lendemain de l’assaut des policiers du Raid, le 21 février 1987. Commence l’enquête, évidemment tout sauf « facile », sur la geste meurtrière d’AD, ses coups d’éclat sanglants, ses racines idéologiques collectives et les motivations individuelles de ses membres. Vieux magazines, documentation diverse, bientôt rencontres hautement attachantes avec d’anciens activistes : Hellyette, Claude, ou le surnommé La Galère. Émergent de leurs récits, quarante ans plus tard, la foi d’airain qui animait ces combattants, l’exaltation de la lutte armée, de la clandestinité, du « renoncement à soi » au profit de la cause commune. Le refus dérangeant, aussi, de confesser tout remords, toute compassion vis-à-vis des victimes — car regretter serait trahir… Tout cela est ancré dans l’atmosphère de « fièvre contestataire » des années 1970, qui fut le terreau du mouvement. « Je suis aspirée dans une matrice qui me ramène vers le passé. Je songe à Nathalie Ménigon et Joëlle Aubron, je veux savoir qui elles sont. D’une façon imperceptible, quelque chose se met à bouger en moi […]. Pour quelle raison ont-elles fait ça ? Que cherchaient-elles ? Je ne réalise pas, alors, que la véritable question est : Qu’est-ce que, moi, je cherche vraiment ? » “Les visages s’effacent, mais le chagrin demeure...” Que cherche Monica Sabolo, tandis qu’elle scrute à n’en plus finir les quelques clichés dont on dispose des deux jeunes filles terroristes ? Apercevoir son propre visage d’adolescente bourgeoise, lisse et docile, intérieurement minée par une enfance chaotique et spoliée. Mettre au jour cette enfance dont les mêmes années 1970 ont constitué le décor temporel, mais dont aucun souvenir ne s’est imprimé dans sa mémoire (« Les visages s’effacent, mais le chagrin demeure. Il irradie, il voyage… »). Apprivoiser les non-dits, les mensonges et la violence sourde au milieu desquels elle a grandi. Décortiquer l’« existence de fiction dans laquelle […] se mêlent le vrai et le faux, des sentiments réels et une autre histoire, enfouie », qu’ont menée ses parents, sur les rives cossues du lac de Genève. Tenter de saisir qui était réellement le flamboyant Yves S., l’homme qu’elle pensait être son père avant d’apprendre, à l’âge de 30 ans, qu’il était en fait son beau-père – et tenter de lui pardonner l’inceste subi durant de longues années. Vers une possible joie Cette matière autobiographique, Monica Sabolo l’avait déjà couchée sur le papier, de façon factuelle et elliptique, dans le fantasque et poignant Tout cela n’a rien à voir avec moi (2013, éd. JC Lattès et en poche chez Pocket). De Crans-Montana (2015) à Summer (2017) ou Éden (2019), ce matériau intime a nourri aussi ses romans de thèmes et images récurrents (les jeunes filles, les métaphores aqueuses…). Y revenant aujourd’hui, dans ce grave et beau livre qui avance vaillamment vers une possible joie, elle en fait cette fois le support d’une réflexion, non pas psychologique mais sensible, poétique et profonde, sur la dissociation : cette vie « en marge du monde » à laquelle l’a conduite son traumatisme d’enfant abusée – et dont elle trouve, dans l’itinéraire intérieur imaginé de Nathalie Ménigon, Joëlle Aubron et leurs camarades de lutte, de troublants échos. Des résonances qui touchent, en fait, toute existence, la vie clandestine étant cette façon que nous avons tous de tenir à distance « ces chagrins qui pourraient nous tuer ». **Le Monde** https://www.lemonde.fr/livres/article/2022/08/27/monica-sabolo-sur-ses-propres-traces_6139235_3260.html